Parce-que les écrans, et tout particulièrement notre rapport à ces derniers, est un sujet important, qui questionne beaucoup, presque autant qu’il peut être sujet de tension au sein des familles, il m’est apparu plutôt opportun d’en faire l’objet d’un premier article.
Serge Tisseron, psychiatre, docteur en psychologie et membre de l’Académie des technologies, est un auteur important dans le domaine et qui bénéficie d’une assez large couverture médiatique. Il a notamment élaboré, en 2008, des propositions de repères temporels pour que les parents puissent guider leurs enfants dans leur relation aux écrans, repères nommés « 3-6-9-12 » et portés par l’association du même nom. Vous trouverez ci-après ces quelques propositions :
Il me parait nécessaire de souligner que ce sont des propositions davantage que des directives. Elles peuvent permettre de trouver des éléments de réponses à des questions précises que l’on se posait en amont ou bien des pistes de réflexion pour ouvrir le débat sur des perspectives que nous n’avions même pas dans notre champ de vision.
L’idée n’est pas de générer de la culpabilité, ni chez les parents et encore moins chez les enfants qui, rappelons-le, ont besoin de leurs parents pour leur fixer des limites, une capacité dont ils ne disposent pas encore, mais plutôt d’apporter matière à réfléchir, et peut-être, à changer certaines habitudes, qui ont pu s’installer sans que nous ayons pu avoir le temps de penser les choses au préalable.
Il est à noter que les propositions et recommandations sur ce sujet sont nombreuses et diffèrent parfois entre elles, selon les études, qui les mènent ou encore qui les relaye. Celles que j’ai choisi de mettre en avant aujourd’hui ont le mérite d’être plutôt ludiques, relativement bien connues, mais ne représentent pas la seule voie possible, aussi, libre à vous de vous renseigner davantage sur ce vaste sujet que représente les écrans et leur consommation.
Pour étoffer encore davantage la réflexion sur notre rapport aux écrans et nos interactions avec ces objets du quotidien, Serge Tisseron a écrit un article, en 2019, dans lequel il propose un parallèle plutôt concret : et si nous gérions les écrans comme nous gérons notre alimentation ? et si certaines règles, de vie, de bienséance, de respect de soi ou des autres, parfaitement intégrés en matière d’alimentation, pouvaient être transvasées dans notre rapport aux écrans ?
De ce parallèle que, je l’espère, vous trouverez plutôt parlant et ingénieux, sont ainsi tirés neuf conseils, que je vais tenter de présenter succinctement ci-dessous. Le lien vers cet écrit de Serge Tisseron est toutefois disponible en bas de page.
- L’alimentation des bébés est jalonnée d’étapes, de pas franchis les uns après les autres, à commencer par celle du lait, maternel ou non, puis la diversification alimentaire, où les découvertes sont progressives et maitrisées par les parents qui, bien évidemment, d’emblée, ne partagent pas leur repas d’adulte avec leurs nouveau-nés, tout simplement parce que le système digestif de leur bébé n’est pas encore adapté pour cela. « De la même façon, le système mental du bébé n’est pas adapté pour tirer profit des écrans. Le jeune enfant n’a pas la capacité de recul suffisante, ni par rapport au contenu des images, ni par rapport aux émotions qu’elles suscitent en lui ». Cette première image conseille ainsi d’éviter les écrans, de façon générale, pour les enfants de moins de trois ans.
- Quotidiennement, nous nous nourrissons à mesure de trois à quatre repas par jour, pris plus ou moins à heures fixes, et évitons, autant que possible, de grignoter entre les repas. Dans cette même logique, ne pourrions-nous pas éviter de grignoter nos écrans en continu ? Pour ce faire, il parait nécessaire que l’adulte montre, autant que possible, la marche à suivre et, si je puis-dire, le bon exemple. Serge Tisseron nous propose donc la démarche suivante : « Aussitôt que nous introduisons un écran dans la vie d’un enfant, faisons-le en ritualisant ce moment, et pour cela, donnons-lui un cadre horaire constant d’un jour sur l’autre, par exemple de 18 heures à 19 heures ».
- De la même manière que choisir son plat au restaurant est un plaisir qui donne à chacun la joie de s’exprimer, soi et ses goûts, avoir la capacité de choisir un programme qui nous plait l’est également. Ainsi, disposer d’une petite DVDthèque, garnie de deux ou trois titres, peut amener les enfants dans cette direction, d’autant plus qu’en visionnant plusieurs fois les mêmes programmes, l’enfant approfondi sa compréhension.
- Poursuivons avec cette idée de DVDthèque qui, « permet non seulement à l’enfant de regarder les programmes qui l’intéressent, mais aussi de regarder un programme qui se termine et après lequel il est possible de passer à une autre activité », contrairement à la télévision ou aux plateformes de streaming qui proposent un flux continu de programmes qui s’enchainent de façon automatique, un peu à l’image…d’une assiette qui se remplirait automatiquement après avoir été terminée ! et comme il peut être déjà bien difficile pour un adulte d’écouter son propre sentiment de satiété, comment le demander à un enfant ? « Nous ne mangeons pas dans le plat, mais dans une assiette. L’assiette représente pour chacun de nous une portion de nourriture, et c’est seulement après avoir fini que nous pouvons éventuellement avoir droit à une seconde portion ».
- Parce que partager un repas avec sa famille, faire de ce moment un moment de convivialité et de partage, est, la plupart du temps dirons-nous, plus agréable que de manger seul, préférons les activités d’écrans partagées : un film que l’on regarde ensemble un soir dans la semaine, des jeux vidéo où l’on peut jouer à plusieurs, en réel, etc.
- Laisserions-nous notre enfant emporter un paquet de biscuits dans sa chambre pour la nuit ? Pourquoi alors le permettre avec le téléphone, la tablette ou encore la console ? Encore une fois, montrer l’exemple parait primordial, alors pourquoi ne pas imaginer que « chacun laisse chaque soir son téléphone mobile sur la table du petit déjeuner pour le retrouver le lendemain matin » ?
- De la même façon que nous échangeons, au cours d’un repas, sur ce qu’il y a sur la table, sur ce que nous mangeons, la manière dont nous l’apprécions, ou non, pourquoi ne pas initier le dialogue en famille sur ce que nous regardons, ce à quoi nous jouons ? Parlons des écrans.
- L’action de cuisiner peut-être une activité source de partage, qui peut même apporter une saveur supplémentaire au moment du repas : la satisfaction de l’avoir réalisé. Ne pourrait-il pas en être de même avec les images ? par l’intermédiaire d’un appareil photographique numérique par exemple, ou encore de logiciels de créations numériques.
- Enfin, et afin de penser le rapport quantité/qualité, de la même façon que nous pouvons être amenés à le faire avec notre façon de nous nourrir, de quelle manière consommons-nous les écrans ? « Bien sûr, certains en consomment trop. Ce ne sont pas d’ailleurs forcément ceux qui vont le plus mal. Il est possible de consommer peu d’écran, mais d’une façon préjudiciable à la vie sociale et à l’équilibre mental, notamment en surexposant son intimité ou en s’engageant dans des pratiques haineuses. Mais il est possible aussi de faire des écrans un usage créatif et socialisant, notamment à travers les réseaux sociaux et les jeux vidéo. Le problème de la plupart d’entre nous, ce n’est pas le temps que nous passons sur les écrans, c’est le fait que nous y avons des activités souvent répétitives, stéréotypées, peu créatives et peu socialisantes ».
A mon sens, l’un des conseils que je trouve le plus intelligemment simple à mettre en place serait le septième : parlons des écrans, ouvrons le débat, en famille, entre amis, en confiance, sans jugement et dans le respect de l’autre et de sa façon de penser, potentiellement différente de la nôtre.
Mais parce-que ce sujet peut être source de tensions et d’enjeux, surtout au sein du cercle familial, s’aider d’un support, et même d’un jeu, peut faciliter la communication. Le jeu « on like ou pas ? » développé aux éditions Minus pourrait, à ce titre, être un bon support.
En parler ensemble, ouvrir le débat, au-delà d’édicter des règles parfois difficiles à comprendre pour les plus jeunes, bien qu’elles soient nécessaires bien entendu, c’est donner à chacun la possibilité de s’exprimer, de comprendre les choses, de se sentir plus acteur des décisions familiales et d’être responsabilisé, ce qui peut aussi amener, chez les enfants, à une plus grande estime de soi ainsi qu’à un sentiment d’accomplissement.
Carole Maillard-Sorci.
Références :
Tisseron S. (2019). Neuf conseils pour gérer les écrans comme les aliments. Repéré à : https://sergetisseron.com/blog/neuf-conseils-pour-gerer-les-ecrans-comme-les-aliments/
On like ou pas ? 25 cartes pour débattre du bon usage de nos écrans. Repéré à : https://www.minus-editions.fr/accueil/182-on-like-ou-pas-5mn-de-moments-complices-3760024990523.html.